Le problème politique comporte deux questions essentielles:
-Une question de faits : c'est le problème de l'origine des sociétés. "Quels sont les problèmes qui ont poussés les hommes a renoncer a leur indépendance naturelle pour se soumettre a une communauté commune, politique?"
-Une question de droit : c'est le problème du fondement de l'autorité politique : Quel est l'acte ou la convention qui rend cette autorité légitime ?
Le problème consiste à se demander comment les hommes ont pu passer d'un état nul de société à des rapports sociaux organisés et comment ils firent ce pas. La formulation du problème peut paraître étrange : ne doit-on pas dire que l'existence humaine suppose un minimum d'existence sociale ? L'homme n'est-il pas, comme le disait Aristote un animal politique ou n'est-il pas immédiatement engagé dans des liens sociaux comme l'abeille dans la ruche ? La logique de cette problématique est pourtant profonde, en effet, pour montrer l'origine radicale de la société, il faut prendre les hommes avant la société, à l'état naissant, cet état naissant c'est ce qu'on appelle : l'état de nature.
Ce qui est en commun à tous les théoricien politiques des XVII et XVIII siècle c'est de poser le même problème : quel est l'origine de la société, et de la résoudre par les mêmes moyens : l'état de nature et le contrat social.
C'est l'état dans lequel trouve les hommes lorsqu'ils ne sont soumis a aucune autorité politique, c'est donc un état pré-social, pré-légal. Dans cet état, les hommes sont pleinement libres, nul n'est par nature soumis à l'autorité. Les hommes sont égaux et ce principe d'une égalité naturelle des hommes est commun à tous les penseurs de l'école du droit naturel.
L'hypothèse de l'état de nature est étroitement liée au contrat social, en effet, si nul n'est par nature soumis à l'autorité d'un autre, il est évident que le droit de commander ne peut naître d'un contrat ou d'une convention par lesquelles les individus se dépouillent en faveur d'un homme ou d'une assemblée du droit naturel qu'ils ont de disposer pleinement de leurs libertés.
On peut dire de Rousseau qu'il est le penseur naturaliste par excellence. En effet, l'idée de nature est au centre même de l'oeuvre de Rousseau. Qu'est ce qui est naturel ? En un sens, est naturel tout ce qui est, mais on distingue dans la nature ce qui lui est propre et ce que l'artifice y introduit. Bref, on définira avec Rousseau le naturel par opposition avec l'artificiel. L'homme semble être dans la nature un élément perturbateur. Dans la nature tout est ordre. L'homme connaît le mal, l'artifice, etc... "Tout est bien sortant des main de la Nature, tout dégénère dans les mains de l'homme." "L'état de réflexion est un état contre nature, et l'homme qui médite est un animal dépravé." (Discours sur l'origine de l'inégalité entre les races de Rousseau : DI) C'est en ce sens qu'on oppose nature et art, nature et histoire. Le mot naturel a chez Rousseau, deux sens :
-il désigne ce qui est originel ou primitif à la nature humaine. C'est là sont sens "historique" dans le DI, Rousseau veut remonter à l'homme primitif, naturel, sauvage, l'homme vivant en dehors de toute sociétés et veut expliquer pourquoi et comment il est entré en société.
-il désigne d'autre part ce qui est essentiel ou authentique à la nature humaine dans son livre Émile ou de l'éducation, Rousseau découvre la nature dans l'enfant. Chez l'enfant, la nature parle immédiatement : lorsque nous étions enfant, nous étions naturels, puis l'éducation a déformé nos âmes. Dans ses écrits autobiographiques (les Confessions) le modèle de l'homme est trouvé par Rousseau dans son propre coeur. Rousseau est persuadé que la nature est restée en lui intacte, inaltéré et à cet égard, il ressemble à un exemple privilégié: "Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de sa nature et cet homme ce sera moi." Rousseau a écrit les Confessions pour se montrer en exemple face à une société totalement pervertie. Rousseau voit donc dans la spontanéité et la simplicité de l'homme sauvage ainsi que dans l'authenticité de l'homme naturel vivant en société, la bonté naturelle de l'homme. L'homme naturel, c'est la référence par rapport à laquelle le présent est jugé. Il y a donc pour Rousseau une vérité de la nature, de l'originel, que l'on pourrait appeler le primitivisme de Rousseau.
Aux yeux de Rousseau, l'état de nature est comme un état de dispersion. L'homme est seul, il se passe entièrement du secours de ses semblables, l'homme n'est donc pas social par nature, il n'est pas naturellement porté à s'unir avec ses semblables, en tout cas, pas durablement.Mais si l'homme primitif est asocial, il n'est pas pour autant antisocial. Bref, l'homme primitif est tout simplement indépendant, les hommes n'ont presque pas de relations entre eux, l'inégalité entre les hommes est presque nulle. Le Discours sur l'origine des inégalités se divise en deux parties : -La première partie est consacrée à la description de l'homme naturel, -La seconde à l'origine de la société Première partie : Rousseau envisage l'homme naturel sous trois aspects : -L'aspect physique (p 170 à 182 ) : l'homme naturel est un animal très bien organisé . -L'aspect métaphysique ( P 182 à 209 ) : Rousseau s'interroge sur la différence essentielle entre l'homme et l'animal, ce n'est certainement pas l'intelligence, c'est : -sa qualité d'agent libre -sa perfectibilité -L'aspect moral ( p209 à 218 ) : l'homme naturel a avant tout le soucis de sa propre conservation, il connaît "l'amour de soi", autrement dit un égoïsme instinctif et innocent. Enfin, il connaît un sentiment qui est antérieur à la réflexion qui est une répugnance innée de voir souffrir ses semblables : la pitié. Conclusion de la première partie ( p 218 à 222 ) : après avoir prouvé que l'inégalité est a peine sensible dans l'état de nature et que son influence y est presque nulle, Rousseau se propose de montrer son origine et ses progrès dans le développement progressif de l'esprit.
L'homme primitif connaît un bonheur, sa vie est équilibrée et puiqu'il a un vie asociale, il n'aurait jamais par lui-même quitté l'état de nature, l'équilibre de son existance a été rompu par le concours fortuit de plusieurs causes étrangères qui aurait pu ne jamais naître et sans lesquelles il fut demeuré éternellement dans sa condition primitive : p 221 . Quelle est la cause fondamentale qui a fait passer l'homme d'un état d'indépendance a un état social ? "C'est la nature qui subitement est devenu inhospitalière : elle a poussé les hommes a s'unir pour lutter contre les dangers ". Rousseau, dans sa seconde partie du discours, traite donc de l'origine de la société, on peut donc distinguer deux sections dans cette deuxième partie: La société naturelle ( le second état de nature ). Cette société naturelle est marquée par trois étapes : -les commencements : les hommes pressés par un nature devenu hostile commencent a s'associer momentanément et font les premières inventions techniques ( ils connaissent le feu ). -"la société naissante", les hommes, sans être soumis à des lois, ne sont plus dispersés, ils construisent des abris, ce qui permet l'établissement des familles. Ce fut là "l'époque la plus heureuse et la plus durable". -"l'état de guerre", la découverte de la métallurgie et de l'agriculture fit apparaître la division du travail, de la culture des terres, s'en suivit leur partage, et de ce partage l'inégalité. "La société naissante fit place au plus horrible état de guerre". La société civile : l'état de guerre rendit nécessaire l'établissement des lois ; le riche ayant le plus a perdre, proposa aux autres des règlements de justice : les hommes vont être dupés, mystifiés, ils vont accepter le pacte d'association, les lois et le gouvernement. Tout cela va consacrer trois degrés d'inégalités : 1-Ce qui est de la loi et du droit de propriété : il s'agit de l'inégalité riches/pauvres, 2-Pour ce qui s'agit de l'institution de la justice : il s'agit de l'inégalité puissant/faibles. 3-Pour ce qu'il s'agit du pouvoir : il s'agit de l'inégalité maître/esclave.
Conclusion du livre : Rousseau conclut en opposant de façon radicale l'homme sauvage qui connaissait parfois un bonheur parfais à l'homme civilisé qui vit dans un véritable enfer. "Ils diffèrent tellement par le fond du coeur et des inclinations que ce qui fait le bonheur suprême de l'un réduirait l'autre au désespoir".
La réflexion : dans l'état de nature, l'Homme ne possède la raison qu'en puissance et il n'en fera usage que lorsqu'il sera devenu sociable. L'Homme ne fait aucun usage de cette potentialité qu'est la raison car il na besoin que de linstinct. Ce qui caractérise l'Homme naturel, c'est un parfait équilibre entre ses besoins et les ressources dont il dispose. L'Homme naturel a tout ce quil désire car il ne désire que ce qu'il a. Mais lorsquil fut forcé de vivre avec les autres, il actualisa sa raison et pour Rousseau, cette culture de la raison est le début de la fin. Si la vie de lHomme primitif était heureuse, cest parce que ses désirs étaient très modérés, or ce bonheur, cet équilibre sera rompu par lactivité de l'intelligence. Aux besoins naturels de l'Homme vont s'ajouter des passions factices dont la plus redoutable est le désir de surpasser les autres et lambition de les "écraser". La racine du mal social, c'est pour Rousseau lamour propre. "Nayant regardé jusqu'à présent que lui-même, le premier regard quil jette sur ses semblables le porte à se comparer à eux, le premier sentiment quexcite en lui cette comparaison est de désirer la première place. Voilà, continue Rousseau, le point où lamour de soi se change en amour propre et où commencent à naître toutes les passions qui tiennent de celle-là. " Toutes les passions sociales trouvent donc leur origine dans lamour propre : cest la vanité, cest à dire la présomption. Etre vaniteux, cest désirer les choses non pas pour elle même mais pour le prestige qui sy rattache. Les besoins naturels sont en fait très peu nombreux, les autres désirs sont produits par la société dite de consommation, ils viennent de ce que lHomme se compare à ses voisins et quil se sent frustré sil n'a pas ce quils ont. Bref tous les désirs factices viennent de la société et tous les malheurs de lHomme viennent de ce que ces désirs sont infiniment élastiques. Pris au piège de la consommation, lHomme en veut toujours plus, il tombe dans ce que les grecs appelait la "pleonexia" et les latins "avaricia", cest à dire cette volonté den vouloir toujours plus, ce plus étant entendu dans un sens quantitatif (voir Désir sensible chez Platon), bref la cupidité. La science et la technique engendrent un cycle sans fin de désirs, à chaque désir satisfait correspond un nouveau désir à satisfaire et ainsi lHomme nest jamais heureux... Rousseau donne lexemple dun collectionneur qui est plus malheureux des trous de sa collection que de tout ce quil possède. " Le sauvage vit en lui même, lHomme sociable toujours hors de lui ne sait vivre que dans l'opinion des autres et cest pour ainsi dire de leur seul sentiment quil tire le sentiment de sa propre existence." Vivre hors de soi : aliénation en philosophie ou mieux hétéronomie, autrement dit lamour propre ou la vanité, cest laliénation du paraître. LHomme donne limage de lui même et ne vit que pour cette image, il vit donc dans limaginaire du paraître. Le paraître prend la place ou mieux usurpe lêtre. "Tous cherchent le bonheur dans lapparence, nul ne se souci de la réalité. Tous mettent leur être dans le paraître ; tous, esclaves, et dupes de lamour propre ne vivent point pour vivre mais pour faire croire quils ont vécu. " Rousseau, pour ce qui est des critiques des passions sociales, se trouve ici un maître : Lucrêce (poète latin du premier siècle qui na écrit quun seul livre : De la Nature) "Laisse les sur le sang à sépuiser dans leurs vaines luttes sur létroit chemin de lambition puisquils nont de goûts que par les bouches dautrui et règlent leurs préférences sur les opinions reçues plus que sur leur propre sentiment, cest donc la société qui se substitue à la personnalité réelle, un " Moi " artificiel." LHomme ne vit plus de façon originale, il est perdu dans ce que Heidegaer appelle "le monde anonyme du on ".
Linstitution de la propriété augmente en des proportions gigantesques linégalité mais elle permet le développement de lagriculture et le progrès de la civilisation. Cet exemple montre lensemble contradictoire que forme le progrès scientifico-économico-technique et linégalité et la corruption sociale. Progrès et servitude, richesse et oppression sont donc solidaires. La vie sociale est pour lHomme à la fois la condition de son progrès technique et loccasion de sa déchéance morale. Rousseau conclut son discours en disant que la société viole la Loi de la Nature et instaure la misère et loppression. La question se pose alors de savoir sil en est ainsi de toute société ? On a souvent prêté à Rousseau un pessimisme radical, la perfection était dans létat de nature et maintenant elle nest plus possible mais en fait on peut trouver dans luvre de Rousseau la raison despérer : - La perfectibilité qui distingue lHomme de lanimal qui sommeille dans lHomme naturel -Létat civil contient en germe quelque chose qui nexiste pas dans létat de nature : la moralité.
Comment la société peut-elle être organisée de façon à assurer la liberté de lHomme ? Cest ce que le livre de Rousseau (le Contrat Social) a pour mission de révéler. Le problème politique posé par le Contrat Social est le suivant : lHomme peut-il, dans létat civil, retrouver sous forme de liberté politique, la liberté ou lindépendance quil connaissait à létat de nature ?
La doctrine politique de Rousseau a pour idéal la liberté. Tous les prédécesseurs de Rousseau se demandaient à quelles conditions une autorité politique pourrait être instituée. Ils répondaient : par laliénation de la liberté naturelle. Autrement dit, linstitution du gouvernement civil se faisait donc pour eux au prix de la liberté naturelle. Chaque individu sacrifiait une partie de sa liberté naturelle pour mieux assurer sa sécurité. La grande originalité de Rousseau consiste à poser le problème ainsi : comment les Hommes peuvent-ils sunir en un corps politique sans pour cela renoncer à leur liberté ? Lessentiel pour Rousseau , cest de trouver "une forme dassociation pour laquelle chacun sunissant à tous nobéissait pourtant quà lui même et reste aussi libre quauparavant. Lessence du corps politique est dans laccord de lobéissance de la liberté"(I-6).
"Renoncer à sa liberté, cest renoncer à sa qualité dHomme" (I-4) La liberté est un droit non aliénable et naturel à lHomme et il est de lessence de ce droit dêtre non aliénable. Quest ce que laliénation ? Dans son sens philosophique, laliénation équivaut à lhétéronomie de la raison (hétéro(autre)nomie(loi) : condition dune personne qui reçoit dautrui la condition à laquelle elle se soumet). Etre hétéronome est en termes kantien être mineur, cest à dire penser par autrui, préjuger. "La minorité, cest lincapacité de se servir de son entendement sans la direction dautrui" (Kant). Lhétéronomie représente les ténèbres de lignorance que doivent illuminer les clartés de la raison, cest à dire les lumières du rationalisme critiquedont la devise est "aît le courage de te servir de ton propre entendement". Le contraire de lhétéronomie, cest lautonomie : condition dune personne qui détermine elle-même la loi à laquelle elle se soumet, autrement dit, lautonomie cest lacte de penser par soi-même. Etre autonome, cest se donner à soi même des principes dactions et de pensées. Dans son sens politique, un Homme qui saliène devient lesclave dun autre, or, si on peut vendre ou céder un bien matériel à une autre personne, il est hors de question de pouvoir aliéner sa liberté qui est un droit incommunicable, imprescriptible, "le droit de propriété nétant que de convention et dinstitution humaine, tout Homme peut à son grès disposer de ce quil possède mais il nen est pas de même pour des dons essentiels de la nature tels que la vie et la liberté dont il est permis à chacun de jouir et dont on na pas le droit de se dépouiller. En sautant lune, on dégrade son être , en sautant lautre, on lanéantit ; et comme nul bien temporel ne peut dédommager de lune et de lautre, ce serait offenser à la fois la nature et la raison dy renoncer à quelque prix que ce fut". Dans son livre intitulé Fondement de la métaphysique et des moeurs, Kant distingue ce qui a un prix et la dignité ; ce qui a un prix marchand peut être remplacé par quelque chose dautre à titre déquivalent, au contraire ce qui est supérieur à tout prix nadmet aucun équivalent, cest précisément ce qui a une dignité. Dignité : principe énonçant que la persone humaine ne doit jamais être traitée seulement comme un moyen mais toujours comme une fin en soi, " Agit de telle sorte que tu traite lhumanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours comme une fin et jamais seulement comme un moyen". Dans tout usage de sa personne, lHomme a le droit et le devoir de rester libre, sil sert ou sil est servi ce doit être sans être asservis et sans tenter dasservir.
Un peuple qui aliène sa souveraineté perd sa qualité de peuple et se dissout par cet acte. De même un individu na pas le droit daliéner sa liberté, de même un peuple na pas le droit daliéner sa souveraineté. Ce sont là des droits que lon possède sans avoir la faculté de les aliéner. Si un peuple aliène sa souveraineté, il se transforme en un troupeau desclave soumis au bon plaisir dun maître, dun despote. Lobéissance nest légitime quautant quelle ne détruit pas la liberté individuelle. Cest la fameuse souveraineté du peuple qui constitue dans la société civile lunique garantie de la liberté individuelle. On pourrait imaginer un peuple qui aliène sa souveraineté, mais cest alors dit Rousseau "un peuple de fous, la folie ne fait pas droit". Ce peuple devient une multitude d'hommes épars sans unité, sans cohésion. Le peuple nest cohérent que par "la vertu républicaine" (Montesquieu), sans cette liberté, ce nest quune foule soumise à un maître. La liberté ne saurait être cédé par un pacte car il ny a rien au monde qui puisse pour un Homme compenser la perte de sa liberté. LEtat a donc pour fin, pour but essentiel la liberté de tous les citoyens. Comment la vie sociale pourrait elle être organisée de sorte que règne liberté et égalité ? Comment lHomme civil pourrait il retrouver sous forme de liberté civile lindépendance quil connaissait dans létat de nature ; autremant dit comment assurer la liberté en même temps que légalité de tous les citoyens ? Tel est le problème dont le Contrat Social donne la solution.
"Le grand problème politique, c'est de trouver une forme de gouvernement qui mette la loi au-dessus de l'homme" (Rousseau). La loi, qui est la même pour tous, est donc une puissance impersonnelle qui doit tout régler. La force nouvelle née de la combinaison des individus en société n'est pas individualisée (accaparée par des particuliers), mais en tant que loi, elle plane au-dessus des particuliers qui sont tous égaux par rapport à elle. Rousseau conçoit l'Etat juste comme l'Etat où chacun aura conscience d'être libre parce qu'il ne doit obéir à aucun homme mais seulement à la loi. Dans l'Etat social, les relations d'hommes à hommes sont soumises à la violence, à l'arbitraire car chacun cherche à tirer un maximum de profits aux dépends d'autrui. Dès lors pour Rousseau, il n'y a qu'une solution au problème politique : "il faut substituer aux relations d'hommes à hommes (qui sont violentes) la relation du citoyen à la loi ", autrement dit, pour mettre un terme à la violence, il faut substituer la loi à l'homme. Mais à qui confiera-t-on le soin de faire les lois, à qui revient le droit de légiférer ?
2.2.2.1 Est-ce au plus fort de dicter la loi ?
Dans le chapitre 3 du livre I du Contrat Social : Du droit du plus fort, Rousseau critique un auteur : Grotius, un juriste hollandais qui avait essayé de fonder logiquement le droit du plus fort. L'autorité du plus fort ne sera durable que si elle est reconnue comme un droit, or il n'y a rien dans la force, qui est simplement une puissance physique, qui puisse donner naissance à un droit, une obligation. "La force est une puissance physique, je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté; c'est tout au plus un acte de prudence... Convenons donc que la force ne fait pas droit et qu'on n'est obligé d'obéir qu'aux puissances légitimes" (Rousseau), autrement dit, le droit du plus fort ne saurait servir de base à la société, une foule asservie à un chef, ce n'est pas une société (corps politique). "Il y aura toujours une différence entre soumettre une multitude et régir une société. Que des hommes épars soient successivement asservis à un seul, je ne vois là qu'un maître et des esclaves, je n'y vois point un peuple et son chef ; c'est si l'on veut une agrégation (gregus : troupeau) mais non pas une association; il n'y a là ni bien public, ni corps politique."
Pour qu'il y ait un peuple, il faut avant tout que les individus se sentent unis entre eux (par la vertu républicaine : Montesquieu) de manière à former un tout dont l'unité soit interne, autrement dit ne dépende d'aucune cause extérieure. Il faut donc d'abord que le peuple soit pour qu'il puisse ensuite déterminer la manière dont il veut être gouverné: "Avant que d'examiner l'acte par lequel un peuple élit un roi, il serait bon d'examiner l'acte par lequel un peuple est un peuple car cet acte, étant nécessairement antérieur à l'autre est le vrai fondement de la société". Cet acte est une association, cette association résulte d'un contrat en vertu duquel chaque associé s'aliène lui-même avec tous ses droits à la société. Les clauses bien entendues de ce contrat "se réduisent toutes à une seule : à savoir l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la société". Le pacte social se réduit aux termes suivants : "chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la supême direction de la volonté générale ; et nous recevons encore chaque membre comme partie indivisible du tout".
Terminologie : l'acte d'association produit un corps moral et collectif qui prend le nom de république ou de corps politique, ce corps politique est appelé Etat lorsqu'il est passif, souverain lorsqu'il est actif , puissance lorsqu'on le compare à ses semblables et enfin les associés prennent collectivement le nom de peuple et s'appellent : -citoyens en tant qu'ils participent à l'autorité souveraine, -sujets en tant qu'ils sont soumis aux lois de l'Etat. Par suite du contrat, du pacte que nous avons analysé, chaque volonté individuelle est absorbée dans la volonté collective, autrement dit, les intérêts particuliers (égoïste) seffacent devant lintérêt général. Cette absorption nôte pourtant rien à la liberté de chacun car, en se donnant à tous on ne se donne à personne. Cette volonté générale nasservit donc en aucune façon, mais au contraire, elle seule garantit contre la servitude. Comment? Le contrat social est un pacte que les particuliers ont conclu entre eux et qui comporte pour tous les associés lobligation de soumettre la volonté particulière quils ont en tant quhomme à la volonté générale quils ont en tant que citoyens. Ce contrat est le fondement juridique de la loi, il instaure légalité et la liberté des citoyens : Légalité : La loi protège chaque associé contre larbitraire (égoïsme des volontés particulières). Chaque associé doit renoncer à mettre autrui sous sa dépendance. Les associés reçoivent donc par le contrat social, lassurance quils seront protégés contre les empiétements individuels dautrui et cela "de toute la force publique". Imaginons quun individu refuse dêtre raisonnable en acceptant le contrat social. "Quiconque refusera dobéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps: ce qui ne signifie autre chose sinon quon le forcera dêtre libre. Car telle est la condition qui, donnant chaque citoyen à la patrie le garanti de toute dépendance personnelle". Légalité reste aussi entière quà létat de nature mais sous une forme nouvelle. Dans létat de nature, légalité venait de ce que chacun formait une unité absolue. A présent, dans létat civil, lunité vient de ce que "chacun se donnant également, la condition est égale pour tous". Cette égalité est structurellement comparable à létat de paix dans létat de nature. La liberté : Chaque associé est libre parce quil sest engagé de son propre aveu à obéir aux lois dont il est lauteur. "La liberté est lobéissance à la loi que lon sest prescrite". La loi part de tous et sapplique à tous. Ce sont les mêmes hommes qui sont à la fois souverains (cest eux-mêmes qui font la loi) et soumis aux lois (ils sont sujets). Il ny a pour Rousseau aucun milieu entre la violence (la tyrannie) et le droit (la démocratie). Nous nous trouvons devant un dilemme, devant une alternative: -ou bien les individus obéissent aux lois par contrainte en vertu dun acte de violence perpétré par les plus forts sur les plus faibles, et alors ces individus ne sont pas obligés à obéir à la loi, -ou bien leur obéissance à la loi est née dun engagement librement consenti par chacun deux, et alors leur obéissance à la loi repose sur une obligation légitime.
Le citoyen par la soumission aux lois retrouve sous forme de libertés politiques l'indépendance naturelle. Une des idées fondamentale de toute la théorie politique de Rousseau est la suivante : l'homme doit, une fois qu'il vit en société, reconquérir par le bon usage de la raison, les biens dont il jouissait à l'état de nature. La liberté est reconquise à travers la soumission aux lois.
Par surcroît, l'homme en vivant en société connaît la justice, la moralité et la vertu. Ce sont des biens que l'homme naturel ignore, ce ne sont pas des dons de la nature, mais l'homme doit s'efforcer de les acquérir. Pour Rousseau, il ne fait aucun doute que le bonheur soit plus grand dans l'etat de nature. Si l'homme peut et doit se féliciter de vivre en société, c'est que la vie sociale peut l'élever à la vertu. Comme l'écrivait Kant "moralité et vertu sont des biens précieux que le bonheur lui-même", l'homme sauvage les ignore, l'homme sauvage ne les connaît pas. C'est seulement en se soumettant à des lois que l'homme peut les mériter. "La morale est une science qui enseigne non pas la façon dont nous devons devenir heureux mais la façon dont nous devons devenir digne de ce bonheur"