Platon
1. La théorie platonicienne des Idées
1.1. Le dualisme platonicien
1.1.1. Héraclite et Socrate
Platon a tenté de concilier deux enseignements : celui d'Héraclite
et celui de Socrate
1.1.1.1. Héraclite :
Le principe d'Héraclite est le suivant : "Tout change, rien
de reste". Héraclite veut dire que rien ne peut subsister définitivement,
que rien dans le monde n'échappe à la ruine, que ciel et
terre disparaîtront , l'activité de la nature est comparable
à un potier qui forme à partir de l'argile des figurines
qu'il pétrit ensuite à nouveau...Héraclite a eu deux
fameux élèves. Le premier est le personnage central
des Sophistes : Protagoras. Sa pensée essentielle est : "l'Homme
est la mesure de toute chose" . Protagoras n'acceptait comme connaissance
que la connaissance par les sens, sensible. Savoir c'est sentir. Mais si
savoir c'est sentir, alors il y a autant de connaissance que de sensations
et d'individu. On ne peut donc plus admettre qu'une connaissance individuelle.
La connaissance n'a aucune validité universelle, il n'y a pas de
critères universels pour dire : ceci est vrai, ceci est faux. Protagoras,
comme tout les sophistes, célébraient le culte de l'individu,
sa théorie est donc individualiste, subjectiviste, relativiste.
Le deuxième élève d'Héraclite s'appelle Cratyle.
Il est d'accord avec Héraclite : " Tout bouge " (Héraclite
dit : "On ne se baigne jamais deux fois dans la même du même
fleuve" ; "la route qui monte et celle qui descend sont une et identique"
; "Sans le soleil, il fait nuit" ). Mais il n'acceptait même
pas la connaissance sensible. Il n'y a selon Cratyle aucune base pour le
savoir. Cratyle est donc un sceptique désabusé et mélancolique
: il n'y a aucune connaissance possible. Voici le syllogisme cratylien
: Majeure : S'il y a un véritable savoir, c'est à dire savoir
stable, il faut qu'a ce savoir se rapporte quelque chose qui persiste Mineure
: Or, comme rien ne persiste, que tout bouge Alors : le savoir est impossible
: nous vivons dans un monde futile. Platon a reçu sa première
influence philosophique de ce Cratyle. Il connu un état de crise,
un certain découragement jusqu'à sa fameuse ren- contre avec
Socrate. Que lui enseigne donc Socrate ?
1.1.1.2. Socrate
Socrate indique à Platon la condition du savoir.
Les sens
Socrate a un mépris voire une haine envers les sens. Les
sens importunent le penseur et l'Homme moral en l'incitant à la
passion, à la colère, au plaisir immédiat. Il faut
s'en affranchir autant que possible : c'est la condition première
d'une connaissance possible et d'une véritable moralité.
Mais existe-t-il une connaissance non-sensible, une connaissance qui ne
soit pas d'abord dans les sens mais immédiatement dans l'intellect
? Les concepts Nous nommons certaines choses particulières
belles et justes. D'où tirons nous ces concepts ? Certainement pas
dans notre expérience mais au contraire nous les introduisons, nous
les appliquons à l'expérience, à priori pour leur
donner sens et cohésion. Nous les avons en nous. Socrate fait surgir
la question capitale de l'origine des concepts. Bref il découvre
le savoir conceptuel. A ces concepts correspondent des objets, immuables
comme les concepts eux-même. De même que nos perceptions particulières
correspondent à des objets particuliers, de même, a nos concepts
universels, correspondent des objets "universels" eux-même. Ces objets
suprême, Socrate les appelle "les Idées". Les
Idées chez Platon ne sont absolument pas des représentations
subjectives, vagues sur quelque chose mais c'est le réel suprême.
Il y a donc un monde autre que le monde connu par les sens, c'est le monde
intelligible, le monde supra-sensible, bref le monde des Idées.
Ce monde est à la fois multiple et un. Multiple car les Idées
sont distinctes, chacune est elle-même et autre que les autres. Un
car cette multiplicité des Idées est unifiée par l'Idée
des Idées, c'est à dire l'Idée que tout suppose mais
qui n'a besoin d'aucun présupposé : elle est anhypothétique.
Platon la nomme le Bien, et cela tout le monde le sait : le Bien est l'Idée
suprême et souveraine, source toutes les autres Idées. De
même que le soleil est source de lumière sensible, de même
le Bien est source de lumière intellectuelle. Il nous donne à
la fois la lumière et la vie. "Le Bien est l'invisible qui fait
voir" disait Socrate.
1.1.2. Pythagore : L’immortalité de l’âme et la réminiscence.
Le problème est de savoir comment on peut parvenir au savoir
immuable dans un monde sensible et mouvant. Comment le savoir véritable
est-il possible ? Ici, c’est la théorie pythagoricienne sur l’immortalité
de l’âme qui vient au secours de Platon : savoir c'est se souvenir.
1.1.2.1. L’immortalité de l’âme.
Pour Pythagore les âmes sont liées au corps à titre
de châtiment. Le corps est une prison dans laquelle la divinité
les a jetées pour les punir, et il y a migration de l’âme
(Karma) en des corps différents, ce qui est une pénitence.
L’âme a le pouvoir de se purifier au cours du cycle de ses migrations
et si elle le mérite, elle atteint le bonheur de la séparation
d'avec le corps. Platon adopte cette théorie dans son ensemble.
De même qu’il y a deux mondes (sensible et suprasensible, intelligible),
de même l’homme est double et appartient aux deux mondes: par le
corps il est attaché au monde sensible, par l’âme au monde
intelligible. L’âme est immortelle ; elle a préexisté
à la naissance de l’homme dans ce monde et survivra à sa
mort. Elle est parente des Idées qu’elle a contemplées jadis,
elle en possède le savoir. Mais l’âme s’est détachée
des Idées, elle est tombée dans le monde sensible, elle est
prisonnière du corps. “Séma soma”: le corps est le tombeau
(ou la prison) de l’âme. Bref, le souvenir des Idées s’est
considérablement obscurci.
1.1.2.2. La réminiscence.
Pour Pythagore, il y a des hommes exceptionnels qui ont une mémoire
exceptionnelle et qui se souviennent de leur vie individuelle antérieures.
Platon transforme la théorie pythagoricienne de la réminiscence
: l’âme ne se souvient pas des vies antérieures mais elle
peut se souvenir de la contemplation des Idées. Si connaître
c’est connaître le monde par les sens, la connaissance n’est pas
véritable mais simplement opinion, c’est à dire particulière
à chacun. Or l’exigence philosophique est l’exigence du savoir véritable.
Pour Platon, cette exigence ne sera satisfaite que si l’on postule l’immortalité
de l’âme, d’une âme qui a contemplé les Idées.
C’est parce que l’âme est immortelle, qu’elle a déjà
tout appris que l’on peut résoudre le paradoxe du savoir. Bien que
nous vivions dans le monde des sens, nous pouvons savoir les Idées
puisque nous les avons contemplées.
Bref, nous avons gardé le souvenir du savoir que nous possédions
autrefois et le progrès de la connaissance n’est que son rappel
de plus en plus clair. Plus opaques seront les murs de la prison, plus
confuses seront les réminiscences.
1.1.2.3 Apprendre c’est se souvenir.
Selon Platon, tout homme sait tout en puissance. Qu’est-ce alors
qu’apprendre ? Selon la représentation courante, apprendre,
c’est accueillir quelque chose d’étranger dans sa conscience ; apprendre
c’est donc remplir un espace vide par des choses qui sont étrangères
à cet espace même. L’esprit ou l'âme serait une “table
rase”, une tablette de cire sur laquelle rien n’est écrit et qui
reçoit de impressions extérieures. Selon Platon, il y a certes
des représentations de choses qui viennent de l’extérieur
mais ce sont des représentations de choses singulières, passagères,
des impressions sensibles. Or le véritable savoir est le savoir
de l’universel, de l’Idée et ce qui est universel, ce qui est Idéel,
n’est pas dans les choses mais dans l’esprit. L’universel est déjà
dans l’intellect et il faut le découvrir. Apprendre c’est retrouver
en soi-même la connaissance des Idées, c’est actualiser ce
que l’on sait en puissance.
1.2. La dialectique du connaître : comment accéder au monde
des Idées
1.2.1 Les trois formes de la dialectique
La dialectique pour Platon est la méthode pour parvenir au monde
des Idées. C'est la méthode par laquelle la pensée
s'élève jusqu'au monde des Idées et se meut dans ce
monde. C'est le mouvement par lequel l'âme s'élève
des choses sensibles aux Idées, puis parcourt et contemple les Idées
et enfin, redescends dans le monde sensible pour y exercer une activité
morale et politique. La dialectique revêt donc trois formes :
1.2.1.1. La dialectique ascendante :
L'anagogie, c'est à dire la montée vers les Idées
On analysera le passage de l'opinion au savoir, de la philodoxie à
la philosophie : République IV p233-237. Après avoir montré
que ceux à qui il faut confier le gouvernement de la cité
sont les philosophes, Platon, à la fin du livre V, distingue les
philosophes des non-philosophes, qu'il appelle les philodoxes : il donne
alors une définition très précise de l'opinion : "
L'opinion est quelque chose d'intermédiaire entre le savoir et l'ignorance.
Elle ne porte ni sur l'être véritable (Idées) ni sur
ce qui n'est pas (le néant) mais sur quelque chose qui est intermédiaire
entre l'être et le néant : ce quelque chose c'est le monde
sensible ". Les hommes qui opinent sentent confusément mais ne pensent
pas. "Les philodoxes sont ceux qui promènent leurs regards sur la
multitude des choses belles mais n'aperçoivent pas les Idées
et ne peuvent suivre celui qui les voudrait conduire à cette contemplation,
qui voient la multitude des choses justes sans voir la justice même,
et ainsi du reste, ceux là opinent sur tout mais ne connaissent
rien de ce sur quoi il opinent". L'opinion est donc irréfléchie,
incertaine, elle se fie aux apparences et elle y adhère sans examen
critique. Jean Cocteau disait "Il n'y a que les sots et les huîtres
qui adhérent". L'opinion peut se trouver vrai mais c'est par
hasard, elle ne voit jamais les raisons qui la font vrai. L'opinion comporte
2 degrés : (voir photocopie : la ligne divisée)
Le savoir (épistémé) C'est la connaissance philosophique
des Idées, la seule connaissance véritable selon Platon.
Elle comporte 2 degrés (Voir feuille photocopiée)
1.2.1.2. La dialectique contemplante : la Noésis
C'est le sommet de la dialectique ascendante, où l'âme
contemple in- tuitivement les Idées. Cela signifie évidemment
que l'esprit perçoit immédiatement l'essentiel : c'est l'intuition
intellectuelle.
1.2.1.3. La dialectique descendante : la Diairésis
C'est le mouvement par lequel la pensée partant des Idées
revient jusqu'au monde sensible pour le dominer en y introduisant la rationalité,
l'intelligible qui à été là-haut vu. Elle organise
alors, en référence, à l'Idée de bien qu'elle
a vu là-haut, la conduite de chaque individu et de la Cité.
1.2.2. La conversion de l'âme
La philosophie consiste essentiellement en l'effort, pour délivrer
l'âme du corps. Cette délivrance ne viendra que d'une conversion
radicale de l'âme aux Idées. Qu'est ce qu'une conversion ?
L'âme ou la pensée doit se détourner, se désengager
des biens exclusivement sensibles, matériels pour se tourner vers
le bien intelligible, le bien spirituel. Le mot grec pour dire conversion
est épistrophe, ou épistropho : tendre son esprit vers, être
attentif à, se convertir à. Bref, l'épistrophe détourne
des biens trompeurs, des biens spécieux, vers le bien substantiel,
essentiel. Pour parvenir à cette conversion, une éducation
est nécessaire. Elle peut être : -une éducation
proprement philosophique (paideia) ( mythe de la ca- verne, République,
livre 7) -une éducation mathématique,( République,
livre 6 et 7) -une éducation érotique (Phèdre,
Le Banquet)
2. La morale de Platon
2.1. L'âme comporte trois parties
2.1.1. 1er partie (livre 4) L'épithymia : appétit ou désir
sensible
Elle a son siège dans le ventre et c'est le principe concupiscible
de l'âme. (concupiscence : inclinaison exclusive vers les plaisirs
charnels, sensibles, du corps.) L'épithymia, c'est le mouvement
de l'âme qui a pour finalité la satisfaction de la vie animale.
Elle est constituée de plusieurs désirs sensibles, dont les
plus vivaces sont ceux de la faim, la soif et la sexualité.
2.1.2. 2éme partie : le noûs : la tête
Il a son siège dans la tête. C'est le principe rationnel ou
hégémonique, le mouvement de l'âme a pour finalité,
du point de vue moral, la maîtrise de soi, la partie raisonnante
de l'âme peut pousser l'Homme à agir contrairement à
son appétit
2.1.3. 3éme partie : le tymos : le cœur
Il a son siège dans la poitrine, c'est le principe colérique
ou irascible. Il semble par nature, plus proche de l'épithymia que
du noûs, du désir sensible que de la raison. Mais il n'est
ni tumultueux ni raisonnable. Tout est question d'éducation. S'il
est bien éduqué, il l'unit à la raison à la
raison et devient l'enthousiasme, l'énergie. S'il est l'allié
de l'épthymia, il devient alors l'irritation. Exemple du tymos
(République p192) Léontios a envie de regarder les
cadavres étendu prés du bourreau. Ce désir est une
forme de curiosité morbide. Pourquoi lutte t'il contre ce
désir : parce qu'il s'est forgé un idéal moral qui
refuse toute intrusion d'un désir malsain. Cette représentation
idéale de soi apporte un principe de résistance à
la dépravation des désirs. Mais ici, cela ne suffira pas.
La curiosité morbide l'emporte. Alors Léontios considère
son désir déréglé, dépravé, comme
étranger à lui-même : "Allons mes yeux, emplissez-vous
de ce beau spectacle". Il devient furieux car il n'a pas été
à la hauteur de son exigence. On voit bien ici que le tymos est
lié à l'estime de soi, à la valeur que l'on place
en soi-même. Plus un homme est noble, plus il place haut sa valeur,
plus il deviendra furieux lorsqu'il aura agi injustement ou lorsqu'il aura
été injustement traité. L'estimation de soi peut être
appelé dignité : l'Homme ressent de l'indignation lorsque
cette estimation est altérée. Platon donne de cette
division tripartite de l'âme une version allégorique, mythique,
dans un dialogue intitulé Phèdre, c'est le fameux mythe de
l'attelage ailé : le noûs est le cocher d'un attelage constitué
d'un cheval blanc, le tymos et d'un cheval noir, l'épithymia.
2.2. Les quatre vertus cardinales
Chaque partie de l’âme a sa fonction et doit avoir sa vertu : la
vertu de l’épithymia est la tempérance ou modération.
Il ne faut pas entendre par tempérance la répression des
désirs sensibles dans le but de satisfaire un seul désir
de même nature. Ainsi l’avare réprime ses autres passions
dans le but de ne satisfaire que son désir d’argent. La répression
des désirs ne devient tempérance que lorsqu’elle est engendrée
par la compréhension que ces désirs font obstacle à
la vie spirituelle, à la souveraineté de la raison.
La vertu du noûs est la sagesse, qui est la qualité de tout
gouvernement raisonnable. La sagesse attache le noûs à la
vérité et au bien. La sagesse c’est le pilote de l’homme.
“L’âme est dans le corps comme le pilote est dans son navire” disait
Pascal La vertu du tymos est le courage, qui consiste à maintenir
solidement les commandements de la raison en luttant contre les ennemis
intérieurs (désirs tyranniques démesurés),
contre les craintes de toutes sortes. La 4ème vertu, la synthèse
des trois autres, est la justice. Est juste l’homme tempérant, courageux
et sage. La justice c’est l’ordre qui maintient chaque partie à
sa place, dans sa fonction, dans sa vertu. Par la justice, l’homme devient
intérieurement harmonieux. La justice est la hiérarchie harmonieuse
des trois parties ; elle est une structure, c’est à dire une disposition
de parties multiples dans un tout. L’harmonie est comparable aux proportions
réglant l’accord d’une lyre, harmonie des trois cordes rendant le
son grave, le son moyen et le son aigu. La justice unit dans un ensemble
accordé les trois parties de l’âme (La République p196-
197). L’injustice, au contraire, c’est le désaccord, la discorde
sous les trois formes de l’intempérance, de la lâcheté
et de l’ignorance.
2.3. Les trois vies et les trois classes dans la Cité
2.3.1 Les trois vies
Le problème grec par excellence est le suivant : quel est l’homme
le plus heureux ? Quelle est l’occupation ou le genre de vie qui assure
à l’homme le bonheur ? Ce qui commande en l’homme de l’épithymia,
du noûs ou du thymos détermine un genre de vie. Si c’est
le principe concupiscible qui l’emporte, l’homme est dit : "ami des richesses
et du gain" parce que c’est principalement à l’aide de l’argent
que l’on satisfait ses désirs physiques. Il s’agit d’une vie appétitive
ou chrématistique. Si c’est le principe irascible, colérique
qui l’emporte l’homme est dit : "ami de l’honneur et de la victoire". Il
s’agit d’une vie tymocratique. Si c’est le principe rationnel qui
domine, l’homme est dit : "ami du savoir et de la sagesse". Il s’agit de
la vie philosophique. Dans les écoles grecques de philosophie
il n’est pas interdit d’être riche, la richesse n’est pas condamnée
en tant que telle. Ce qui est blâmé, c’est de faire de l’acquisition
des richesses la fin de la vie humaine. Or, pour tous les philosophes grecs,
la plus belle part de notre vie c’est le loisir (en grec : skolé)
consacré à la réflexion. Il faut de l’argent pour
répondre aux besoins quotidiens mais n’est qu’un moyen en vue d’une
fin meilleure.
2.3.2. Trois classes dans la cité.
Aux trois parties de l’âme correspondent trois classes de la cité.
A l’épithymia correspond les travailleurs dont la fonction est de
pourvoir aux besoins économiques de la cité.
Au noûs correspond la classe des gouvernants dont la fonction
est de conduire la cité par des lois.
Au thymos correspond les guerriers dont la fonction est de défendre
l’ordre public.
Ces trois classes sont hiérarchisées selon les aptitudes
naturelles que la nature préforme et que l’éducation sélectionne.
Pour Platon, une seule sorte de gouvernement est parfaitement juste : l’aristocratie.
Le gouvernement est confié aux plus sages, les guerriers constituent
la 2ème classe, ils doivent être vaillants, disciplinés
et soumis, la 3ème classe doit être contrainte par les guerriers
(une sorte de police) à une tempérance, qui ne lui est pas
naturelle, sans laquelle la cité serait ruinée.
3. Désir et passion
L’examen du désir est le prélude nécessaire au choix
de la vie la meilleure. Cet examen dessine une anthropologie c’est à
dire une conception de la nature humaine. Le désir semble être
le propre de l’homme. Toute la problématique platonicienne du désir
s’ordonne sur le thème de la purification progressive de l’âme.
3.1. Désir sensible et raison.
3.1.1. Désir sensible ou la démesure.
Le désir sensible a deux caractéristiques :
Il est illimité (en grec : apeiron, peiron : limite). Alors
que le besoin exige une satisfaction modeste, le désir sensible
est une appétition insatiable. Le propre du désir sensible
est de changer sans cesse d’objet et de ne se satisfaire jamais (ex : Don
Juan). Bref, le désir sensible vise insatiablement les objets du
plaisir que fait miroiter le monde sensible. Il est la marque d’un manque
d’unité et de satisfaction véritable. Il est conscience d’être
manque mais il ignore que la nature des objets qu’il recherche ne pourra
jamais le combler. "Aucune possession sensible ne saurait satisfaire le
désir humain". Aussi Platon le compare-t-il (dans le "Gorgias")
à un tonneau percé (mythe infernal des Danaïdes).
Il est tyrannique. En chaque homme existe un tyran qui devient manifeste
quand il trouve les conditions favorables à son actualisation. Il
devient manifeste :
-dans l'invisibilité (la République livre 2 p109-110
: l'anneau de Gygès)
-dans le sommeil (la République livre 5 p333-339 : les désirs
illégitimes) Bref, le désir sensible de puissance est innée
en chaque homme ; s'il n'est pas moins un désir nécessaire,
il n'en est pas moins un désir "naturel". Quelque soient les aptitudes
qui feront de lui un philosophe, aucun homme ne naît philosophe mais
il peut le devenir. Comment ?
3.1.2. La raison ou la mesure
Quand le désir sensible prend le contrôle de l'âme,
il écarte l'âme de son essence. L'effort philosophique consiste
donc à ramener le désir à l'ordre, à la sagesse.
La philosophie est désir de sagesse et le désir de sagesse
est le désir propre à la portée rationnelle de l'âme.
Est vraiment philosophe celui en qui la raison gouverne effectivement.
L'éducation philosophique : le mythe de la caverne Aucun homme
ne naît philosophe mais peut le devenir. Comment ? Sinon en extirpant,
du moins en amoindrissant la force des désirs tyranniques et en
faisant triompher le désir de sagesse. Ce désir de sagesse
procède d'un refus et d'un élan : refus de rechercher la
satisfaction du désir proprement humain dans les plaisirs sensibles
et élan vers le bien substantiel. Pour qu'il comprenne l'importance
de ce refus et de ce refus, l'homme a besoin d'une éducation, d'une
instruction. Eduquer l'homme, cela signifie élever son âme
vers le bien. Et nous trouvons dans l'allégorie de la caverne le
symbole de l'ascension (anabase) de l'âme vers le bien : la caverne
symbolise le monde sensible et l'éducation philosophique consiste
à détourner l'âme toute entière des biens sensibles,
superficiels, vers le bien essentiel. "Le présent discours montre
que chacun possède la faculté d'apprendre et l'organe destiné
cette usage (nôus) et que, semblable à des yeux qui ne pourrait
se tourner qu'avec le corps le corps tout entier des ténèbres
vers la lumière, cet organe doit aussi se détourner avec
l'âme toute entière, de ce qui naît jusqu'à ce
qu'il devienne capable de supporter la vue de l'être et de ce qu'il
y a de plus lumineux dans l'être, c'est à dire le bien.
L'éducation ne consiste pas à donner la vue à un oeil
qui serait aveugle, la capacité de voir de l'esprit est déjà
là comme d'origine divine, la tâche de l'éducation
est seulement de donner à l'oeil de l'âme la bonne direction,
c'est à dire de le conduire de la semi-obscurité des sens
au clair soleil de l'Idée. Tout est donc subordonné à
l'exactitude du regard.
3.2. L'éducation civique
L'homme qui s'est élevé jusqu'à la lumière
du bien ne doit pas s'évader dans la contemplation mais doit accepter
sa tâche terrestre. L'évasion est certes une tentation toujours
très vive pour le philosophe mais il lui faut redescendre dans la
caverne pour organiser la conduite de l'individu et de la Cité.
Cela ne vas pas sans risques. Malgré son mépris pour la vaine
gloire, le philosophe doit gouverner pour la Cité, car "tant que
les philosophes ne seront pas roi dans les Cités, ou que ceux qu'on
appelle aujourd'hui roi ne seront pas vraiment philosophes, tant que la
puissance politique et la philosophie ne se rencontreront pas dans le même
sujet ; tant que les nombreuses natures qui poursuivent actuellement l'un
ou l'autre de ces buts, de façon exclusive, ne seront pas mis dans
l'impossibilité d'agir ainsi, il n'y aura de cesse aux maux de la
Cité, ni, ce me semble, au genre humain, et jamais le Cité
que nous avons décrite tantôt ne verra pas la lumière
du jour" (La République, livre V p229). Allié, unir
la philosophie à la politique, voilà le seul moyen d'assurer
le bonheur privé et public, tout les deux sont inséparables
et c'est pour cela que le philosophe doit se charger du pouvoir. La politique
est nécessaire au bonheur, le but de la politique est le bonheur.
Désirer la sagesse c'est vouloir saisir immédiatement les
Idées et ne plus les perdre. Mais ici bas, il y a un obstacle infranchissable
: c'est la nature corporelle de l'homme. Désirer; pour Platon, la
sagesse, c'est donc désirer mourir à la vie sensible. En
effet, d'après lui, parés la mort, plus rien ne s'interposera
entre l'âme et l'Idée, rien n'empêchera la fusion bienheureuse.
La mort, pour celui qui sait s'y préparer, ouvrira les portes de
la connaissance vraie et du bonheur parfait, le philosophe doit donc s'exercer
à mourir. La condition sine qua none du parfait accomplissement
du désir de sagesse et donc l'immortalité de l'âme.